Comment
expliquer la bienveillance… la première fois que j’ai lu ce terme et
que j’ai tenté de me documenter, je suis tombée sur un forum sur
internet qui a eu sur moi 3 effets :
-j’ai pleuré pendant 3h devant l’image de la mère monstrueuse qui m’était renvoyée
-j’ai
eu le sentiment que la bienveillance était une sorte de Rotary club
pour mères parfaites que je n’aurai jamais les moyens de m’offrir
-j’ai fermé internet et j’ai mis 1 an à revenir vers le sujet
Car
oui quand on a pas soi-même été élevé dans la bienveillance, se lancer
dans l’aventure c’est un peu comme décider de partir vivre dans un pays
dont on ne connait pas la culture. Si en plus on oublie son guide du
routard et que la première personne sur qui l’on tombe ne supporte pas
les étrangers, le risque est de prendre son billet retour avant la fin
de la première semaine…
En
effet comme l’explique si bien ce sympathique article de Reggio and Twins, le parent déjà accompli dans la bienveillance à la fâcheuse (bien
que légitime) habitude de se la péter un peu et de poser son regard
réprobateur sur le novice que vous êtes. Mais si vous poursuivez dans la
bienveillance, vous vous rendrez vite compte que vous devrez vous-même
très vite lutter contre ce même travers, regardant à votre tour avec
l’œil noir le parent non-initié qui près de vous pratique la VEO
(Violence Educative Ordinaire). Mais pourquoi donc ?
Parce
que dans une société ou l’éducation des enfants se fait en écrasante
majorité en VEO (ou éducation traditionnelle), le parent bienveillant se
trouve très souvent en situation de se justifier sur ses choix
éducatifs, souvent même confronté à des réactions violentes et
agressives. Ces réactions poussent donc le parent sur la voie de la
bienveillance à se défendre, à justifier ses choix par des listes
d’arguments, citations, preuves scientifiques… souvent révoltés par
l’ironie de la situation, car il faut en France se justifier de NE PAS
frapper ou punir ses enfants, ces parents se retrouvent en
« communautés » pour se soutenir et échanger. Plus la bienveillance
entre dans leur vie et plus la certitude d’être sur le bon chemin
s’installe…
Mais
pourquoi donc un choix éducatif dont le nom est « bienveillance » et
qui sonne plutôt comme un truc tout-plein-d’amour-bisounours,
déchaine-t’il ainsi les passions au point qu’une conversation commençant
par « nous avons choisi d’éduquer nos enfant sur le principe de la
bienveillance » peut se terminer par des insultes et ruiner un simple
café entre copines ?
Parce que ça
touche au cœur de tout un tas de choses fondamentales dans notre vie :
nos enfants, l’image du « bon » ou du « mauvais » parent, notre propre
éducation, notre relation à nos parents, nos propres failles et
blessures…
L’éducation
bienveillante, (ou parentalité positive, ou éducation non violente)
c’est un parti-pris éducatif axé sur l’enfant ; contrairement à
l’éducation traditionnelle, ce mode d’éducation exclue le principe de
lutte de pouvoir, d’autorité imposée à l’enfant, et utilise en
contrepartie les outils de la confiance, de la coopération, et de la
connaissance de l’enfant et de son fonctionnement.
Ca sonne plutôt pacifiste alors que reproche t’on à l’éducation bienveillante ?
Comme tout ce qui est différent, mal connu, elle fait peur et provoque des réactions épidermiques pour plusieurs raisons :
-la
peur du laxisme : dans une société qui met une pression énorme aux
parents, dans un monde ou il faut à la fois être un super parent, avoir
une carrière, manger sain, faire du sport, dire bonjour à la dame,
cultiver sa vie sociale sur facebook, le regard posé sur le parent dont
l’enfant se met à pleurer ou crier dans un magasin est absolument culpabilisant et plein de jugement négatif. La peur d’être le géniteur
d’un de ces fameux « enfant mal élevé » (à prononcer avec le sourcil
froncé avec un petit hochement de tête désapprobateur) prime souvent sur
le propre ressenti du parent qui applique bien souvent l’éducation
traditionnelle tout en ne se sentant pas le parent qu'il voudrait être.
-la
culpabilité : changer de cap vers la bienveillance, lire les livres,
les documents, les études scientifiques, se dire que c’est ça qu’on
veut, c’est aussi affronter sa culpabilité de ne pas l’avoir fait plus
tôt, revoir tout ce qu’on a fait et que l’on va maintenant considérer
comme « mal »
-la
remise en question : pas de changement pour la bienveillance sans
remise en question de sa façon de faire mais également de l’éducation
qu’on a soi-même reçu ; c’est parfois un gros travail personnel, qui
peut bousculer, sans compter les réactions de l’entourage proche, tout
particulièrement de ses propres parents qui vivent cela comme une
critique de ce qu’ils ont pu faire.
-les
préjugés : ah ils sont nombreux les préjugés sur la bienveillance ; il y
ceux des autres, ceux qui vont juger ce parents qui renie la culture
éducationnelle française, et ses propres préjugés, car même si l’on
souhaite changer, l’empreinte de notre propre éducation et du modèle que
l’on côtoie majoritairement est énorme.
Alors justement je vous propose de nous « attaquer » à ces préjugés :
-« la
bienveillance, c’est le laxisme quoi, c’est laisser l’enfant tout
faire ! » : non, comme le dit Gordon, il y à l’autoritarisme (quand le
parent impose sa loi), le laxisme (quand l’enfant impose sa loi) et au
milieu il y a la bienveillance (lorsque l’éducation n’est pas une
affaire de force mais un système gagnant-gagnant)
-« pour
les faire obéir il faut bien des fessées, ou au moins des punitions » :
et bien 42 pays à travers le monde, et 23 en Europe ne sont
officiellement pas de cet avis et ont interdit toute punition
corporelle. Les études scientifiques et sociales n’ont pas pu démontrer
d’effet positif de ces châtiments et ont toutes conclu au contraire à
des effets négatifs
-« une
petite fessée ça n’a jamais tué personne, j’en ai reçu et je vais
bien , ce qu’il faut c’est être raisonnable » : et bien ce n’est pas
exact ; il est maintenant prouvé que les punitions corporelles portent atteinte à la santé mentale et physique sur le court, moyen et long terme. Nous savons maintenant de manière certaine qu’elles augmentent
l’agressivité des enfants, nuisent à la bonne gestion des émotions,
encouragent le mensonge, le contournement et réduisent la faculté à
assumer les conséquences de ses actions de manière positive ; l’impact
négatif sur l’estime de soi a également été largement démontré.
La
notion de « punition corporelle raisonnable » est d’autre part très
contestable car elle repose sur une évaluation subjective qui empêche de
fixer une limite légale évaluable. Rappelons que 75% des maltraitances sont commises dans un contexte de punition ce qui prouve à mon sens
qu’on ne peut pas laisser chacun être libre de fixer cette limite
« raisonnable »
-« je
suis chez moi, ce sont mes enfants je fais ce que je veux » : et bien,
remplaçons « enfant » par « femme » et nous nous rendons compte
qu’étrangement, un argument devenu invalide légalement pour le droit de
correction envers sa femme, est toujours avancé pour les enfants. Le
conseil des droits de l’homme des nations unies et le comité des droits
de l’enfant ont d’ailleurs signalé que l’absence de législation
interdisant les punitions corporelles était contraire à la charte
sociale européenne. Ce n’est donc pas une affaire privée…
-« regardez
en Suède maintenant, ils savent plus quoi faire avec leurs « enfants
rois » « : cette campagne de désinformation récemment apparue sur le net
affirmait que les Suédois, précurseurs sur l’interdiction des
châtiments corporels et de l’éducation bienveillante, se trouvaient
désormais aux prises avec une génération d’enfants rois mal élevés et
tyranniques qui mettent en péril l’avenir de la nation . Ces articles
largement diffusés et ne prenant appui sur aucune étude sociale ou
scientifiques, sont issus des allégations d’un psychiatre Suédois, David
Eberhard dans son livre dont il a largement fait la promotion. Sauf que
la première génération élevée dans la bienveillance correspond aux
trentenaires d’aujourd’hui et que les études montrent que cette
génération est équilibrée, bien dans sa peau et que le taux de
criminalité en Suède ferait pâlir de jalousie n’importe quel autre pays
d’Europe ce qui tend à prouver que, si problème il y a avec les enfants
Suédois d’aujourd’hui, il ne vient pas de la bienveillance elle-même
mais plutôt de son mode d’application actuel ou encore d’autres
phénomènes sociaux qu’il conviendrait d’étudier précisément.
Mais
alors, maintenant qu’on a passé les préjugés, c’est super, on est
motivé, mais on fait quoi quand Minipouce se met à hurler devant notre
refus de le nourrir de smarties ou nous regarde du haut de ses 4 ans en
nous disant « tes trop moche du caca boudin » tout en faisant du Picasso
sur les murs du salon, on fait quoi ? on lui dit « ah mais quel
amouuuuuuur !! » ??
Non, bien sur,
je le rappelle la bienveillance ce n’est pas tout autoriser ni tout
accepter, ce n’est pas devenir le souffre douleur de son enfant non
plus.
Mais le plus grand piège
serait de croire que c’est quelque chose de facile et de naturel dans
lequel on peut se lancer sans effort et que tout se passera bien ; c’est
un peu comme se jeter du haut d’une falaise en se disant « bah, la
nature à bien prévu un parachute… »
Ça demande
un investissement personnel, là encore, tout particulièrement pour ceux
qui n’ont pas été élevés eux-même sur ces principes… et oui, c’est pas
juste, le copain d’à coté qui a été élevé comme ça il fait tout bien
naturellement et pour les autres, va falloir bosser ! (mais bon Angélina
jolie vous avait déjà prouvé que la nature n’est pas toujours
équitable, je ne vous apprend rien)
Heureusement,
de nombreux spécialistes se sont penchés sur le sujet avant nous et,
comble de bonheur, ils ont même écrit tout un tas de bouquins sur le
sujet. Alors le 2ème piège étant de passer 15 ans de sa vie à
lire toute la bibliographie de la bienveillance pour se rendre compte
que les enfants sont grands et qu’il est un peu tard, mieux vaut se
renseigner sur les « essentiels » pour débuter, quitte à approfondir
ensuite.
Ma sélection personnelle serait celle-ci :
"Au
coeur des émotions de l'enfant" de Filliozat : C’est LE livre qui
permet de comprendre les différentes étapes de construction
psychologique de l’enfant et permet de comprendre beaucoup de
fonctionnement ; bref une sorte de décodeur à Minipouce, très utile
"il
n'y a pas de parent parfait" toujours Filliozat : là, c’est le livre à
lire vite quand on débute dans la bienveillance et qu’on est au stade de
culpabilité intense lié à la découverte de tout ce qu’on à pas fait
correctement , aussi appelé le stade « oh mon Dieu je les ai traumatisés
ils vont être névrosés toute leur vie à cause de moi je suis un parent
ignoble !!!!! ». Ce livre va dédramatiser et vous remettre sur les rails
pour continuer
"parents
efficaces" de Gordon : là, des solutions concrètes et plus seulement de
la théorie et ça fait du bien ; le livre qui vous fera accueillir votre
conjoint en criant, le livre à la main « on a fait la méthode du
gagnant gagnant et Minipouce à mangé des légumes !! »
Là
il s'agit je dirai du "kit de survie" pour débuter dans la
bienveillance car de très nombreux ouvrages existent. S'inscrire sur un
groupe de discussion accès sur la parentalité bienveillante peut
s'avérer plus qu'utile, tout particulièrement pour les soirs difficiles de vos débuts, ou la tentation de bruler vos lectures
bienveillantes sur l’autel de la frustration parentale semblera plus forte que
vos bonnes résolutions...
Vous entrerez dans l'ère de l'auto jugement; vous serez encore sous la dictature des automatismes
éducatifs mais chaque fois que vous ferez ou direz quelque chose à
votre enfant, votre Moi apprenti bienveillant vous fera des remarques
("ah non j'aurai pas du formuler ça comme ça", "mince j'ai encore fait
du chantage"...). Oui c'est très exaspérant et même déprimant. A ce stade, armez-vous de patience et de tout le soutien possible...
C'est
généralement à ce stade que vous ferez une grande découverte, et
"grande" est un faible mot car croyez-moi, à l'échelle de la
parentalité, c'est un continent entier que vous allez découvrir : la
bienveillance, c'est plus un travail sur soi-même que des techniques
éducatives. Disons que la bienveillance est votre destination, que les
outils sont un vélo qu'on vous offre pour y aller et que vous réalisiez
enfin que si vous ne montez pas sur ce vélo pour vous mettre à pédaler,
et bien vous n'irez nulle part...(mais vous n'avez jamais fait de vélo,
bien sur!) Vous comprendrez que vous êtes la clé (même si ça sonne un
peu discours de gourou spirituel). Vous devrez vous interroger sur la
maitrise de vos propres émotions, sur ce qui vous met en colère et
pourquoi, ce qui est important ou non, vous découvrirez que la
bienveillance commence par soi-même et vous apprendrez à être indulgent
avec vous-même. Vous constaterez que plus vous travaillez sur vous même,
plus la bienveillance sera facile à appliquer; vous comprendrez que si
vous prenez soin de vous, vous êtes un meilleur parent.
Et
sur votre vélo (oui j'aime les métaphores filées), parfois vous
tomberez, parfois vous irez moins vite, vous vous rallongerez même sur
le chemin; et parfois vous vous direz que vous n'avez plus la force de
pédaler avant de vous rendre compte que finalement vous pouvez encore;
que vous avez réussi à faire 1km de plus que la veille. Il arrivera même
un moment ou vous vous arrêterez, observant l'autoroute de la VEO à
coté en vous disant que finalement une voiture c'est moins fatiguant
pour vous, vous demandant si vous n'avez pas fait le mauvais choix. Puis
vous vous retournerez et constaterez le chemin parcouru et la fierté
vous envahira.
Un matin vous réaliserez que vous
êtes monté sur votre vélo sans même vous en rendre compte, que vous
pédalez machinalement de bon train dans la bonne direction; ce jour là
vous réaliserez que vous ne savez plus conduire une voiture et que vous
n'en n'avez de toute manière plus l'envie, que vous n'avez plus aucun
doute sur la route à emprunter, que vous vous moquez du regard des
automobilistes... Ce jour là vous comprendrez que la bienveillance
n'était pas votre destination, Lieu parfait à atteindre, mais le chemin,
avec ses embuches, ses chutes, ses bifurcations, et finalement la plus
jolie ballade de votre vie, car vous verrez votre enfant pédaler à vos
cotés en souriant et vous saurez que, lorsqu'il sera parent à son tour,
il saura déjà faire du vélo....